(06.12.2008) Noël : Une fête chrétienne ? laïque ? universelle ? Aïd Al-Adha,la plus grande fête musulmane (8 décembre prochain), peut-t-elle être fêtée comme on fête Noël ?
Des laïcs peuvent-ils célébrer ces deux fêtes ?
La présente lettre est une réponse à un ami. Je la publie car elle renvoie à un débat aux dimensions à la fois laïques et religieuses, culturelles et et politiques.
Cher M. …,
Merci d’avoir répondu à mon invitation à la fête de l’ASML, même si je déplore ton absence, cette année encore.
Après avoir décliné l’invitation, tu poses la question: «A quand un Aïd Al-Adha laïque? ». Est-ce de l’humour ou de l’ironie ? Je ne sais. Mais j’ai envie de te répondre sérieusement et te dire que la question pourrait présenter quelque pertinence si la fête de l’ASML avait lieu en pays musulman. Car elle renverrait immédiatement à la question de savoir s’il est possible d’associer laïcité et Islam, même symboliquement, via une fête.
J’ai donc envie de te rappeler que notre fête a lieu en Suisse, pays non musulman, mais laïque, ce qui nous permet de fêter ce que bon nous semble. En associant des gens de toutes confessions à notre fête annuelle, en se montrant tels que nous sommes, loin des clichés réducteurs et des fantasmes, j’ai la faiblesse de croire que nous contribuons à corriger l’image désastreuse d’une religion associée, réellement ou faussement, à la plupart des conflits qui ensanglantent la planète.
L’ASML ne prétend pas défendre l’Islam (de nombreux religieux musulmans sont plus éclairés pour le faire), mais simplement contribuer à mieux faire connaître les musulmans d’ici, dans leur quotidienneté, qui sont dans leur écrasante majorité attachés à la laïcité et aux valeurs de la Suisse. A l’ASML, nous considérons que c’est le meilleur moyen pour combattre les discriminations dont ils sont bien souvent victimes. En montrant, et non en cherchant à démontrer que la communauté musulmane vit son intégration de manière paisible et décrispée.
Certes, tu n’as jamais souffert toi-même de discriminations, me diras-tu, mais n’est-ce pas aussi mon cas et celui de la plupart des gens que nous connaissons ? La question n’a rien de personnel, mais n’est-il pas temps d’expliquer que des gens comme toi et comme moi ne sont pas une exception ? Tu connais la perfide expression: « Ah, mais vous, vous n’êtes pas comme les autres! » ou, « je connais des musulmans qui sont bien ».
Il ne faut pas aussi se voiler la face, et admettre que la question de la laïcité n’est débattue librement que dans des pays démocratiques où elle est conçue non comme la négation mais comme la garantie de la liberté religieuse. Au procès que certains (guère nombreux en Suisse, fort heureusement) nous font d’être laïques, donc hostiles à l’Islam, je répondrais que ce qui rassemble les membres de notre Association n’est ni leur degré de croyance ou d’incroyance, qui relèvent de leur sphère intime, mais bien l’idée qu’ils se font du rapport entre la foi en général et les institutions qui nous gouvernent.
C’est pour cette raison que L’ASML, s’est définie dès sa création comme «l’association suisse de musulmans pour la laïcité » et non de musulmans laïques.
Il est, à cet égard, significatif que c’est au nom de la laïcité que l’ASML a combattu les dérives antimusulmanes telle l’initiative contre les minarets. C’est au nom de cette même laïcité, consacrée par la loi constitutionnelle du 29 juin 1907, qu’elle a réussi à faire signer par l’ensemble de la classe politique genevoise la « Charte de bonne conduite politique » (le 9 octobre 2007). Et ce, en présence du Conseiller fédéral Pascal Couchepin, venu spécialement appuyer la démarche.
La fête annuelle de l’ASML est le point d’orgue de nos multiples actions. Nous l’avons symboliquement placée juste avant les fêtes de Noël et de la saint sylvestre, qui rythment le calendrier universel, mais qui restent par essence chrétiennes. Elle vient ainsi rappeler que si les musulmans ne fêtent pas Noël en tant que tel, ils partagent néanmoins, avec leurs concitoyens non musulmans et le sens de la fête et celui des valeurs d’ouverture et de tolérance. Valeurs qui ne sont le propre d’aucune civilisation en particulier, mais le socle d’une humanité solidaire, telle que l’ont voulu les rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’Homme dont nous avons fêté cette année le cinquantième anniversaire.
Bien à toi.
Ali Benouari.
Président de l’Association suisse des musulmans pour la laïcité (ASML).
(Publié sur blog.tdg.ch le 06 décembre 2008)
(Source image : www.commons.wikimedia.org/wiki/File:Secularmap.PNG)