(21.09.2012) Ali Benouari, Le fondateur de l’association des musulmans pour la laïcité réagit aux polémiques sur l’islam. Faut-il réagir au film L’innocence des musulmans, qui scandalise le monde arabe ?
Aujourd’hui, le Conseil central islamique appelle à manifester à Berne. Ali Benouari, ancien ministre algérien du Trésor et fondateur de l’Association suisse des musulmans pour la laïcité, répond par la négative. L’homme avait flirté avec l’UDC, avant de quitter un parti à ses yeux trop islamophobe. Il préside désormais la section de Cologny (GE) du Parti libéral-radical. Interview.
La polémique anti-islam enfle en Suisse. A titre personnel, vous sentez-vous choqué par le film ou par les caricatures?
Pour être sincère, je n’ai jamais regardé une caricature ou des extraits du film sur Internet. L’être humain est maître et souverain lorsqu’il choisit de regarder ou de lire quelque chose. J’ai d’autant plus de mal à comprendre les réactions dans les pays arabes. Mais je suis aussi conscient que je ne vis pas dans le même monde que ceux qui réagissent violemment. Les pays arabes sortent à peine du Moyen Age, après une longue période d’hibernation.
Donc, vous ne soutenez pas l’appel à manifester à Berne?
Non. Ce film n’a rien à voir avec la Suisse. Si Nicolas Blancho, puisque c’est son association qui organise la manifestation, se sent heurté par ce film, il n’a qu’à faire un communiqué.
Certains musulmans – mais aussi des catholiques – réclament une nouvelle norme pénale sur le respect du sentiment religieux. A-t-elle un sens à vos yeux?
Un simple blasphème ne doit jamais devenir un délit pénal en tant que tel. Les croyants n’ont qu’à se dire que c’est un crime puni par Dieu et qu’il faut donc laisser à Dieu le soin de juger… Mais je reste favorable à une réflexion plus large sur la liberté d’expression. Car une attaque comme le film américain n’est pas un simple blasphème, elle a pour but de stigmatiser tout une communauté. Dans ce cas, il faut se demander si la liberté d’expression doit protéger l’insulte. Et le problème ne se pose pas seulement avec l’islam.
La liberté d’expression n’est pas négociable dans une démocratie. N’est-ce pas aux musulmans de s’adapter?
Les événements provoqués par le film peuvent se répéter et je crains que nous soyons à la veille d’un embrasement général. Au bout, il y a des gens qui meurent. Or, nous sommes tous un peu responsables de ce qui arrive aux autres. Dire aux musulmans de s’adapter, c’est leur dire de se débrouiller avec leurs excités et quelque part soutenir les provocateurs. L’Occident doit aussi agir pour calmer les esprits.
Il reste une solution plus simple: que les musulmans choisissent l’indifférence…
J’aimerais bien. Voltaire disait: si chacun pouvait savoir ce que son ami ou son voisin dit de lui, il n’y aurait plus d’amitié. Avec Internet, il est presque impossible d’ignorer ou de faire semblant d’ignorer l’opinion d’autrui. La moindre des opinions, positive ou négative, est répercutée instantanément à l’échelle universelle. Il faut donc voir comment on peut résoudre ce type de problèmes sans remettre en cause ce formidable vecteur de progrès.
Plus personne ne meurt pour des caricatures de Jésus. Comment expliquer cette différence entre chrétiens et musulmans?
Une question de progrès dans la vie démocratique et laïque. Je rêve qu’un jour les musulmans en arrivent à ce stade et qu’ils arrêtent de servir eux-mêmes de caisse de résonance à leur propre stigmatisation. Mais les musulmans ne sont pas sereins. Ils prennent tout ça au premier degré. J’entends leur raisonnement: les Occidentaux nous ont colonisés, et ont soutenu nos dictateurs, et aujourd’hui ils laissent les gens nous insulter. Nous ne sommes pas dans un paradigme religieux mais sociétal.
Cela suffit-il à justifier plus d’une trentaine de morts ?
Rien ne justifie le meurtre ou l’assassinat. J’essaie de comprendre. Condamner les musulmans, c’est la solution de facilité qui ne fait avancer personne. Il faut au contraire débattre et réfléchir à la situation. Les adeptes du choc des civilisations voudraient nous faire croire que l’islam ne peut pas être porteur de progrès. Il est vrai qu’aujourd’hui les pays musulmans traversent une période de transition violente. Mais laissons-leur le temps d’expérimenter la démocratie, puis la vraie laïcité.
Quand on voit la victoire des islamistes dans les pays qui ont connu la révolution, on a de la peine à croire à cette évolution.
Il faut rester optimiste. Il y a beaucoup de forces vives, notamment dans la diaspora. Il s’agit d’aider la majorité silencieuse qui est prise entre deux feux: d’un côté, l’image véhiculée par les fanatiques et de l’autre les préjugés islamophobes.
Par Fabian Muhieddine le 21.09.2012, Quotidien La Tribune de Genève.
(Source : www.journal.tdg.ch/laissons-pays-musulmans-temps-experimenter-democratie-2012-09-21
Image : www.commons.wikimedia.org/wiki/File:Mosqu%C3%A9e_Masjid_el_Haram_%C3%A0_la_Mecque.jpg)